Danciens travailleurs de lusine Mercedes-Benz de González Catán (Argentine) accusent un des managers de Mercedes, Juan Tasselkraut, davoir, en 1977, aidé larmée à arrêter des militants syndicalistes. Huit dentre eux, ont "disparu" dans les sous-sols de la dictature. Un avocat allemand vient de porter plainte contre Tasselkraut et dautres dirigeants de lusine Mercedes-Benz pour "meurtre, prise dotage, coups et blessures graves".
"Meurtre, prise dotage, coups et blessures graves", tels sont les termes de la plainte portée contre Juan Tasselkraut, lancien directeur de lusine Mercedes-Benz de González Catán située non loin de la capitale de lArgentine, Buenos Aires.
Elle a été déposée fin septembre auprès de la Justice par Wolfgang Kaleck au nom de lAssociation Républicaine des Avocats de Berlin. Des plaintes ont également été déposées contre Jorge Rafael Videla, ancien commandant darmées, Emilio Eduardo Massera, ancien chef de la Marine argentine, et contre X, dans ce cas des responsables des usines Mercedes-Benz, aujourdhui DaimlerChrysler, dont le siège est à Untertürkheim/Allemagne".
A lorigine, il y a la répression dune organisation syndicale autonome dans les usines Mercedes-Benz de González Catán par la police et larmée en 1977. Neuf des membres les plus actifs de cette organisation furent arrêtés lun après lautre. Huit dentre eux ont disparu à tout jamais. Ils font partie des 30.000 "disparus", qui ont été assassinés entre 1976 et 1983 dans les chambres de torture de la dictature militaire.
Cette plainte a pu être déposée grâce aux recherches dune journaliste vivant en Argentine, Gaby Weber. Daprès les témoignages recueillis par Gaby Weber et Me Wilfried Kaleck, il parait indéniable que Juan Tasselkraut et la direction de lusine Mercedes-Benz ont aidé larmée à éliminer les encombrants syndicalistes. Du fait de la nationalité allemande de Juan Tasselkraut et de lun des assassinés, Esteban Reimer, cest la Justice allemande qui est compétente.
Me Kaleck explique le contenu de la pleinte ainsi: "Ce qui importe ici, cest de montrer que les acteurs nétaient pas des sadiques ayant pété les plombs mais bien de personnes poursuivant un plan politico-économique précis. En effet, le terreur exercie pendant les années de dictature ne la pas été de façon arbitraire mais de façon ciblée. Il ne sagissait pas seulement de combattre la guerilla mais aussi de détruire le mouvement ouvrier pour imposer un nouveau système économique selon les principes du néo-libéralisme.
Pour ce qui est de Mercedes-Benz, la façon dont ont procédé et larmée et la direction de lusine de González Catán en est un bon exemple. Il y existait, comme dans beaucoup dautre entreprises dArgentine un fort mouvement syndicaliste autonome qui sétait constitué dans les années qui avait précédé le putsch du 24 mars 1976. La direction sétait vue obligée de satisfaire aux revendications ouvrières. Lorsque, quelques semaines avant la prise du pouvoir par larmée, 118 syndicalistes furent licenciés, les ouvriers cessèrent le travail. 24 jours plus tard, Mercedes-Benz se vit obligée dannuler les licenciements parce que le manager allemand Heinrich Mentz, qui avait été dépéché sur place, avait été kidnappé pendant la grève par les Montoneros, un groupe de guerilla. Ces derniers demandaient pour la libération de Mentz lannulation de tous les licenciements, une rançon substantielle et "des excuses" de la part de la direction pour la politique quelle menait contre les ouvriers.
Cest pour en finir avec ce genre de problèmes que larmée prit les choses en main. Après le putsch, les grèves furent considérées comme des "actions terroristes" et interdites. Il sensuivit une vague de répression contre les syndicalistes. A González Catán cela commença dans la nuit du 4 au 5 janvier 1977. Daprès ce que raconte María Luján Reimer, la veuve de Esteban Reimer, depuis disparu, son mari avait été convoqué la veille, ainsi que son collègue Hugo Ventura, à la centrale de lentreprise à Buenos Aires. Des syndicalistes y négociaient toute une liste de revendications. Reimer rentra ensuite chez lui. Dans la nuit surgit un commando de neuf hommes armés qui se présentèrent comme faisant partie du 1er batallion de larmée. Ils arrêtèrent Reimer. Hugo Ventura fut également arrêté la même nuit. Dautres militants syndicalistes subirent le même sort: ils furent arrêtés soit chez eux, soit devant, soit dans les usines Mercedes.
Que ces arrestations aient visiblement correspondu aux attentes politiques de la direction de lusine nest pas le seul aspect permettant de supposer que celle-ci ait agi deconcert avec larmée. Les témoignages recueillis par Gabriele Weber et Me Kaleck sont accablants pour Juan Tasselkraut. Le seul militant syndicaliste à avoir été relâché après son arrestation, Juan Ratto, rapporte par exemple que Tasselkraut avait permis à des policiers en civils dentrer dans lusine et de sy mouvoir en toute liberté. Il rapporte en outre que Tasselkraut avait, en sa présence, donné à ses derniers ladresse dun militant syndicaliste, Diego Nuñez. Celui-ci fut arrêté dans la nuit et emmené au centre de Campo de Mayo où il fut torturé puis assassiné.
Hector Ratto explique sa remise en liberté par les seuls circonstances de son arrestation. Ces circonstances sont particulièrement accablantes pour Tasselkraut. Ratto rapporte que les policiers en civils voulaient larrêter devant les portes de lusine pour éviter toute agitation à lintérieur de lusine. Mais il y eut confusion: à sa place, les policiers arrêtèrent un de ses collègues qui portait le même patronyme, Juan José Ratto. Mais Hector Ratto put entrer dans lusine avant que les policiers ne remarquent leur erreur. Dans laprès-midi, le service de sécurité de lusine vint linformer que sa femme avait téléphoné pour dire quun accident était arrivé chez lui. La direction du personnel lui donnna ensuite, sans quil en ait fait la demande, la permission de quitter lusine. "Cétait un piège. La nuit précédente, un autre collègue, Del Connte, avec lequel jétais en très bons rapports, avait été emmené. Cétait mon tour", rapporte Ratto dans son interview avec Gaby Weber. Ratto refusa de quitter lusine. Tasselkraut le fit alors venir dans son bureau où lattendaient deux policiers en civils. Le soir, il fut embarqué dans un camion de larmée. "Ratto fut dabord emmené dans un commissariat puis au tristement célèbre centre Campo de Mayo, dont lexistence était tenue secrète. Il y fut torturé pendant deux semaines puis passa deux ans en prison. Il est donc en droit dexiger des réparations de la part du gouvernement argentin dun côté, de Mercedes de lautre, - parce que je pense quil est évident que la direction de lusine porte une part de responsabilité dans son arrestation. En outre, daprès ce que dit Ratto, il semble aussi évident que le directeur Juan Tasselkraut porte également une part de responsabilité dans lassassinat de Diego Nuñez", déclare Me Kaleck qui, après sêtre rendu en Argentine au mois doctubre, sest chargé de défendre les intérêts de Ratto.
Lors dun autre procès, en 1985, le témoignage de Ratto avait déjà permis la condamnation de membres de larmée. Le jugement se référait à son cas et à celui de lassassinat de Diego Nuñez. Les juges avaient attesté la veracité de ses dires. Tasselkraut aura du mal à prouver quils sont faux, même si, devant les accusations de Ratto, il affirme dans une interview donnée au printemps que "ce jeune homme raconte des choses dénuées de tout fondement."
María Ester Ventura, la sur de Hugo Ventura, également disparu, rapporte que Mercedes avait continué à verser aux familles des huit syndicalistes disparus le salaire de ces derniers pendant environ dix ans, sans en avoir jamais donné les raisons. María Ester Ventura voit dans cette attitude de Mercedes laveu de sa culpabilité. Tasselkraut conteste également cette interpretation et affirme que "lentreprise voulait faire preuve dhumanité."
Me Kaleck rapporte que Juan Tasselkraut, qui jusquà maintenant avait continué à travailler pour DaimlerChrysler en Argentine, était introuvable au mois doctubre. Selon divers ouvriers de lusine, il avait été mis début octubre, en congé pour une durée indéterminée. Chez lui, seul un service de sécurité réponds aux appels, disant que Tasselkraut venait de déménager.
Le Groupe des Actionnaires Critiques de DaimlerChrysler demande au conseil dadministration "dapporter tout le soutien nécessaire à la justice pour que la lumière soit faite sur les faits révoltants qui se sont produits dans la succursale argentine de Mercedes, et ainsi éviter que tout cela ne nuise à la multinationale." Lexpert juridique du Groupe des Actionnaires Critiques, Holger Rothbauer, espère que "laffaire Tasselkraut nest quun cas isolé et non la pointe de liceberg." Il exige de la direction "quelle garantisse quil nexiste pas dautres affaires de ce genre."
Toutefois, à Stuttgart, dans la centrale de lentreprise, on se montre peu loquace. Le service de presse a réagi aux questions de npl en qualifiant les accusations formulées contre lentreprises de "creuses et dénuées de sens", mais a concédé "que si laffaire devait avoir des conséquences juridiques, mettant en cause la légalité de lattitude de lentreprise, tous serait fait pour soutenir le travail de la justice." Et ce sera sans doute bientôt le cas. Me Kaleck communiquera dans les jours qui viennent les nouveaux éléments du dossier à la justice. Le Tribunal Fédéral est en train dexaminer la plainte pour décider quelle instance sera chargée de laffaire. Me Kaleck espère que la decision ne se fera pas trop attendre: "Nous allons continuer à suivre cette affaire avec une très grande attention étant donnée que les réactions suscitées par cette plainte représentent pour nous un succès politique et juridique inattendu. Mais cest dabord à la justice dagir."
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